Merci a Michel Delmar et à Creissan d’hier et d’aujourd’hui pour leurs recherches et la diffusion sur le blog de nos merveilles patrimoniales.
Une visite du Cardinal de Bonzi, archevêque de Narbonne à Creissan en 1684, pendant les Dragonnades.
Nous sommes à la fin du XVIIème siècle. Le Canal du Midi, œuvre de Paul Riquet, a été inauguré en 1680 ; l’église catholique et le pouvoir central de Louis XIV reprennent en main la province du Languedoc ; dès 1681, les dragonnades font leur sinistre travail de conversions au catholicisme et en 1685, c’est la révocation de l’Edit de Nantes qui interdit le protestantisme en France . Un prélat d’origine italienne, Pierre de Bonzi, remarqué par Mazarin lors des négociations du Traité des Pyrénées (1659) est nommé cardinal et occupe très vite le premier rang aux Etats du Languedoc. Fidèle du pouvoir central, il devient archevêque de Narbonne en 1673succédant à François Fouquet, frère de Nicolas Fouquet arrêté par d’Artagnan le 5 septembre 1661.
Le cardinal de Bonzi, lié au clan Colbert, est le protecteur du financier languedocien Pierre Louis Reich de Pennautier, trésorier des États du Languedoc et receveur général du clergé, qui fut, comme lui, soupçonné d’avoir été impliqué dans l’ affaire des poisons.
Ce prélat courtisan, puissant et ambitieux n’était pas avare de bons offices. Le 21 mars 1695, il offre et il consacre le maître-autel dessiné par Hardouin-Mansart à la Cathédrale Saint-Just-et-Saint-Pasteur de Narbonne. L’historien Jacques Michaud lui fait même grief d’avoir transmis à Colbert, grand collectionneur de documents anciens, des parchemins précieux concernant l’histoire de Narbonne
Homme de terrain, tout comme son prédécesseur, l’archevêque de Narbonne, visite les paroisses de son diocèse, En 1684, le Cardinal De Bonzi, Archevêque et Primat de Narbonne, Conseiller du Roi et Aumonier de la Reine se rend à Creissan où il est reçu par le recteur perpétuel de l’église paroissiale Saint-Martin, Jean Casalones. C’est au cours de cette visite que ce dernier obtient l’appui de Pierre de Bonzi pour passer commande d’un retable et d’un meuble destiné à protéger la cuve baptismale de son église.
Jean Casalones, le recteur de Creissan, passe alors un contrat avec un sculpteur biterrois nommé Jacques Thomas, L’acte est rédigé chez Maître Calvet le 13 juillet 1685. Ce contrat prévoit la réalisation d’un retable et d’un « couronnement » pour les fonds baptismaux en bois d’aube et de tilleul.
L’ensemble sera conforme au modèle dessiné par le sculpteur. Le recteur prend à sa charge le transport de Béziers à Creissan de l’ensemble du mobilier qui sera réalisé en atelier. Il s’engage aussi à mettre en place le socle en pierre de taille sur lequel le retable doit être posé et à nourrir le sculpteur et son équipe lors du séjour pendant lequel les mesures du mobilier seront prises ainsi que pendant le temps du montage du retable. Jacques Thomas se charge de la fourniture des fixations métalliques et de la mise en place du retable et de la boiserie destinée aux fonds baptismaux avec ses ouvriers.
Le sculpteur dispose d’un délai de 5 mois pour réaliser cette commande. L’ensemble du travail est évalué à 200 livres. D’après mes souvenirs d’enfance et des photos de famille, le retable était en bois avec des colonnes torses ornées de grappes de raisin. A l’origine il était en bois doré et fut repeint en blanc et or au XIXème siècle. (d’après Bellet et Escudet, creissan village eb Languedoc)
L’argent fut prélevé sur une somme plus importante léguée, par dispositions testamentaires, par feu Fulcrand d’Arribat, magistrat et conseiller au Présidial de Béziers. Ce dernier était marié à Anne de Lescure, originaire de Puisserguier. La famille de Lescure possédait des terres et une maison à Creissan. Henri de Lescure qui était le principal taillable à Creissan, fit don quelques années plus tard en 1742 à l’église de l’autel de marbre rouge toujours en place dans l’église de Creissan.
Nous savons que ce retable précède celui que Jacques Thomas réalisa trois ans plus tard, en 1688, pour les religieuses du monastère de Sainte-Ursule dans leur église à Pézenas où il est toujours visible et devenu une des attractions touristiques de la villeIl y a quelques années, En ce qui concerne Creissan, considéré comme « pourri et vermoulu », il finira aux escoubilles au lieu dit « La Peyrouse »…
Seul, rescapé le haut du retable qui représente Dieu le père créateur, (photo Delmar/2009) n’a pas été réinstallé dans l’église et souffre en silence près de Saint Roch. Ce fragment en bois doré est en bon état. Un examen minutieux de la sculpture effectué par l’association « Creissan d’Hier et d’Aujourd’hui » a permis de faire apparaître une inscription manuscrite sur la croix surmontant l’ensemble : « 977- 1793….. Narbonne ».
Le retable de Saint-Ursule de Pézenas est la dernière oeuvre de Jacques Thomas documentée à ce jour. Son tableau central représente la vierge Marie offerte à Dieu par ses parents Anne et Joachim. En ce qui concerne Creissan nous n’avons aucune indication sur la peinture qui ornait le centre du retable. Il existe bien une peinture du 18ème siècle dans l’église mais rien ne prouve qu’il s’y trouve depuis cette époque.
Un historien, spécialisé dans l’étude des retables de cette époque, Densi Nepipvoda, nous a communiqué les éléments qui ont permis de documenter cet ancien retable de l’église Saint Martin que de nombreux Creissannais ont connu lorsqu’ils étaient enfants.
Qu’il en soit vivement remercié !
Pour les amateurs d’héraldique, le blason du Cardinal de Bonzi († 1703), est visible dans le grand escalier du Palais des archevêques à Narbonne.
A noter que la commune de Bize Minervois a repris le blason du Cardinal de Bonzi qui fut un des quatre co-seigneurs de Bize dont la description est la suivante :
« Écartelé: aux 1er et 4e d’azur à la rose d’or et à la champagne du même, aux 2e et 3e d’argent à la guivre d’azur, couronnée d’or et à l’issant de gueules ; sur le tout d’azur à l’annel rayonnant de huit rais pattés d’or et à la filière du même. »
Pour conclure, nous avons encore du beau patrimoine à Creissan comme le château, espérons qu’il soit un jour mis en valeur pour que les générations futures en profitent et que personne ne puisse dire « on ne savait pas »
Adissias !